Tu étais bien Là-Haut. Tout se passait plutôt bien. Tout le monde t'aimait bien Gabrielle, du haut de ton ciel, avec ta tendance caractérielle et ta beauté iréelle. Tu étais vindicative, impartiale, une véritable Athéna sur son petit nuage. Tu disais la vérité vraie, disait-on, et jamais, ô grand jamais, tu ne te trompais. Tu ouvrais grands les yeux et grandes les oreilles : ce qui devait être dit, tu l'entendais et ce qui devait être vu, on te le montrait. Un jour, toutefois, non satisfaite - comme toujours - tu t'es penchée vers l'atmophère, vers la croûte terrestre où pullulaient toutes ces vies. Tu ne t'en préoccupais guère, à la réflexion, mais ces gens te semblaient terriblement mauvais, viciés, injustes : tu ne les aimais pas. Et tu es quand même tombée, entraînée par un autre, celui que t'aimais bien, il s'appelait Daniel, tu t'en souviens maintenant. Tu es tombée de ton petit nuage pour heurter le dur sol du Texas. Heureusement, cet homme était là, il t'a recueillie, sans trop lorgner sur ta tenue d'Eve. Puis les évènements se sont enchaînées. Tu n'avais que l'âge de seize ans à ta chute, seize minuscules années, alors tu as travaillé, énormément, et tu t'es envolée vers d'autres horizons, plus calmes, plus grands. Tu as fait tous les chantiers internationaux, a participé à toutes les ventes caritatives, a distribué partout des tracts contre la fin dans le monde : mais rien n'y fait, l'Ascension n'existe pas pour toi. Tu la cherches, ta salvation, ta rédemption, mais rien ne vient. Et puis il y a ce conflit ridicule, qui divise les gens autour de toi, la balance qui penche d'un côté, puis de l'autre. Tu n'aimes pas ça. Tu préfères le manichéen, le noir, le blanc, coupable, innocent, le bien, le mal. Tu n'aimes pas cette impression d'entre-deux partout autour de toi. Alors tu fermes les yeux et ne t'impliques pas. Et tu cherches toujours ton chemin pour que justice soit faite - l'ange qui t'a fait chuter doit payer, tu t'en rends compte seulement maintenant. Parce que tu crois, irrationnelle pour une fois, qu'en te vengant, tu retourneras Là-Haut. Et là est entré dans ta vie Asling, avec la violence d'une comète...

Il y avait cet homme qui t'obsédait. Tu l'avais surnommé Lui, comme certains surnomment leur Dieu. Il était ton dieu, de quelque manière, tu L'adulait. Contrairement au pauvre démon abominable que tu étais, Il était d'une grande sagesse, restait stoïque devant tout, remuait les peuples, les civilisations, l'essence même de l'homme dans toute sa violence et son égoïsme. Peut-être était-Il un dieu finalement. Tu voulais apprendre de Lui, tu voulais te contrôler aussi, avoir plus de pouvoir, pouvoir remuer les gens comme Il le faisait. Si bien que tu grattas les croûtes terrestres, tu bouffas des asticots pendant des années et des années, commençant un long et interminable trajet jusqu'à la surface, n'abandonnant jamais, s'énervant dans la boue et la merde, ne souhaitant qu'une seule chose : Le connaître. Malheureusement, quand tu arrivas enfin dans ce petit endroit, l'Irlande ça s'appelait, Lui n'était plus là. Lui était parti et même de loin. Gandhi était mort, depuis bien plus d'un demi-siècle. En fait tu as eu soixante-et-un années de retard sur Lui. Soixante-et-une années. Cela te foutu en rogne. Et, évidemment, il n'y avait aucun aller-retour possible. Tu voyageas le monde, cherchas un semblant de Lui, voulus se convertir, en vain. La colère, la fureur, la rage était toujours là, coulait dans tes veines comme un poison. Puis un jour tu t'es tempéré. Tu prends des médicaments. Et un jour, le monde a vu ton charisme, tu as fini - sans comprendre pourquoi ni comment - devant des caméras. Des gens t'écoutaient, des gens te regardaient, t'imitaient, te prenaient comme modèle sur terre. Tu remuais des populations. Et tu aimais ça. Maintenant, tu prends tes médicaments à heures fixes, tu te surprends à vire sainement quoique fastement. Tu aimes la vie, Flynn, mais va-t-elle durer encore longtemps ainsi ?

Tu étais toute petite cette enfant, toute jolie, toute mignonne, toute pauvre. Quand tes parents n'avaient d'autre choix que de t'emmener chez le pédiatre - se ruinant par la même occasion -, tu chippais des magazines de mode et tu regardais les mannequins, si grandes, si belles, si parfaites. Tu voulais leur ressembler. Toute ta vie, tu n'as voulu que être regardée. Pour ce à quoi tu ressemblais. Tu voulais être entendue aussi. Pour ce que tu disais. Ecoutée, reconnue, impressionnante, magnifique, iconique : voilà ce que tu voulais être. Tu as travaillé si dir, petite Oswin, que tu ne mérites que ta place. Tu as fait des choses dont tu préfères ne plus parler - tous les moyens étaient bons pour arriver là où tu es - jusqu'à atterrir comme une comète dans les bras de Flynnegan Cooper. Depuis, tu as trouvé le job de tes rêves : tu écris pour le talk-show de ce dernier même si, secrètement, tu ne rêves que de le renverser pour prendre sa place. Tu ne te suffis jamais de ce que tu as. Tu veux toujours plus, toujours, toujours, toujours. Tu as tourné le dos à ta famille, à ton copain qui était un peu trop un loser, à tout ce qui pouvait te rattacher à ta vie d'avant, pourtant si douce et agréable. Tu es une nouvelle personne depuis peu, Oswin, et ça fait peur à ta plus proche amie. Mais tu t'en fiches. Ne compte que la reconnaissance, la perfection, les yeux du monde sur toi. Mais tu sais, ce n'est pas la guerre uniquement autour de toi. C'est le monde entier qui se retourne sur lui-même mais tu y es aveugle. Ne compte que la couleur de ton vernis aujourd'hui, que les mots que tu vas placer à ton supérieur pour monter en grade ou juste dans son estime. Ouvre les yeux, Oswin, avant qu'il ne soit trop tard.

Jeremiah. Était-ce vraiment son prénom, ou celui de l'année, un emprunt parmi tant d'autres ? Il avait eu tellement d'identités, depuis sa naissance en 1868 dans les faubourgs de Londres. Sa mère était une prostituée, une femme de petite vertu, qui était tombée enceinte par accident. Elle n'avait jamais voulu d'un enfant, quel bien lui aurait-il fait ? Une bouche de plus à nourrir, alors qu'elle-même devait se vendre pour survivre. Cependant, avorter lui était insupportable. Ce n'était pas une mauvaise femme, juste une femme désespérée, et quitte à abandonner son bébé, autant qu'il grandisse dans un couvent, ou une famille un peu plus aisée. Elle le porta à terme, n'arrêtant pas son travail pour autant – c'est fou, le nombre d'hommes excités par une prostituée enceinte. La venue au monde de Jeremiah eut lieu dans un motel sordide, avec pour seule sage femme, Polly, meilleure amie de sa mère Patty. Cette dernière était encore jeune, une vingtaine d'années tout au plus. Elle laissa son fils sans regret, au sein du couvent de Margaret's Church. Le petit bonhomme y vécut de belles années : les sœurs s'occupaient de lui comme de leur propre fils, il reçut une éducation religieuse empreinte de principes moraux qu'il respectait à la lettre. Il ne se posait pas beaucoup de questions sur ses origines, quand il était plus jeune. Or, avec le temps, les interrogations émergèrent. Qui étaient ses parents ? Était-il un orphelin, ou un enfant bâtard, rejeton d'un lord qui ne voulait pas de lui ? À l'âge adolescent, en même temps que les questions s'éveillèrent sa sexualité, une puberté taboue dans l'Église. Entouré de femmes, sans aucune connaissance des manières de la chose, il se surprit à penser à certaines sœurs comme à des amantes, et le soir, il s'adonnait au plaisir de la chair de lui-même. Vînt un temps où cela ne lui suffit plus. Alors il fit une tentative d'approche auprès d'une sœur, une tentative ratée ; et loin de le décourager, il s'en trouva plus excité. Il la viola. Ardemment, avec tant de passion qu'il lui déchira l'intérieur. Il fut renvoyé du couvent le lendemain même, non sans menace d'un enfer éternel. Qu'importait dès lors, son seul objectif était de retrouver sa mère. Il soudoya les membres du clergé, mais n'obtenait d'eux que des portes claquées. Alors il commença à poser des questions ailleurs. Dans les bars, les rues, aux brigands et aux prostituées. Il tomba sur Polly. Elle laissa entendre qu'une de ses amies, Patty, avait bien eu un enfant, vingt ans plus tôt. Un petit garçon. Jeremiah feignit l'indifférence : il avait compris. Il était ce garçon. Et sa mère, était une prostituée. Une catin, une petite pute. Comme cette Polly. Jeremiah l'emmena dans un coin sombre. Elle supposa, pour une petite gâterie. Il la saigna comme un porc, lui trancha la gorge et lacéra la langue pour l'empêcher de hurler, lui entailla l'abdomen et les organes génitaux, impurs d'avoir été trop souillés. Il commit alors son premier crime, en tant que Jack l'Éventreur. Peut-être que son prénom, le premier, c'était Jack, après tout. Comment savoir ? Il tua encore, d'autres prostituées, cherchant sa mère dans les cadavres qu'il éviscérait – un vrai boucher. Il fit chou blanc, alors il quitta Londres. Ce fâcheux pouvoir l'empêchait de vivre : il ne vieillissait plus. Passés les trente et un ans, il ne prenait aucune ride, ne perdait aucun cheveu. Il restait inchangé. Alors il prit la fuite, continuant de semer des cadavres sur sa route ; mais Jeremiah est intelligent, son mode opératoire change souvent, si bien qu'il est devenu beaucoup d'hommes, beaucoup de serial killer, sans que jamais personne ne le suspecte. Aujourd'hui, il est de retour dans son natal Royaume-Uni, en Irlande. Dublin lui apparaît comme un parfait terrain de jeu pour retourner à ses activités premières, le meurtre. Il a d'ailleurs la lame qui le démange. Se créer un masque de normalité, prétexter vivre comme les autres, et finalement révéler le monstre qui est en lui : une méthode efficace qui a déjà fait ses preuves.

T'étais bien là-bas. Tu te prélassais dans ta luxure avec un délice évident. Tout n'était que luxe, que sexe, que passion, que délice. Tu es un démon récent, évidement. Tu n'étais pas vraiment démon, pour les romains et leurs Bacchanales, tu n'étais pas démon pour le reste. Puis les chrétiens sont arrivés et tu es apparu entre les flammes et le souffre. Tu es horrible, Christian. Tu as des femmes, tu as des hommes, tu les utilises, ils t'utilisent. Mais un jour, tu viens sur Terre. Un jour tu viens sur Terre et c'est mieux qu'en bas. Ici, ton comportement n'est pas normal, ici il y a le frisson de l'interdit. Ici les gens sont manipulables, tu peux en rameuter plus dans ta couche, ici tout est pour le mieux. Alors tu grattes la terre. Tu sens tes ongles se froisser mais tu grattes la terre. Tes muscles crient grâce mais tu grattes la terre. Tu finis par émerger dans un monde bruyant, un monde pollué, vicié jusqu'à la moelle. Et tu sais que tu as trouvé l'endroit où tu voulais être. Oui, c'est là, juste là. Tu aimes ça, la terre, les mortels. Tu ne veux plus être un démon, juste les imiter, vivre comme eux. Tu veux absolument rester parmi eux, malgré les pulsions que Lilith fait couler dans tes veines, malgré tes envies qui ressurgissent spasmodiquement. Tu te trouves des hobbies. Le dernier en date ? Voler. Cette adrénaline, tu l'aimes. Tu as peur, à chaque instant, de te faire avoir et tu aimes ça. Tu es certainement le meilleur voleur d'Irlande, tu es connu de tous sous le terme de Raccoon, première de couverture au moins une fois tous les deux mois d'un quotidien. Tu ne prends que des tableaux sexuels, que des choses qui choquent et tu les gardes pour les revendre. Ta vie semble plutôt bien faite, Christian, même si tu restes horrible. Tu apprends des maladies sexuelles, tu apprends plus des dangers que ta vie de démon pourrait attirer. Tu renies complètement ta nature - mais ce n'est pas assez. Parce que depuis peu, tu te sens suivi, tu te sens épié. Tu aimerais juste te fondre dans la masse mais tu n'y peux rien, Christian. Tu dégages une aura d'insanité et tout le monde te voit. Toi, tout ce que tu veux, c'est être un mortel, trouver une femme et puis faire ce qui te plaît. Mais ça ne fonctionne pas ici, tu sais ? Pas du tout.

Fauve était une petite fille lunatique. Elle faisait des dessins de monstres et elle aimait bien s'habiller comme les garçons. Souvent dans son coin, elle jouait aux histoires qu'elle s'inventait, dont elle était l'héroïne et à peu près tous les autres personnages. On aimait bien Fauve, mais on l'aimait de loin, comme une pièce habituée du puzzle, qu'on ne déloge pas, mais qui n'est vraiment pas centrale. Un coin, peut-être, quoiqu'elle n'a jamais eu l'importance d'un coin de puzzle. Elle était normale. Intelligente, certes, et dévouée aux autres quitte à être abusée dans sa gentillesse, mais normale. Ordinaire. Au lycée, Fauve avait un petit ami, un joli garçon un peu outsider, lui aussi. À la même époque, elle a rencontré Hansel, le bel Hansel, plus âgé et plus adulte. Elle a craqué pour lui, elle a quitté son petit ami pour le bel ange dont elle ignorait alors la nature. Et son ancien petit ami ? Il s'est suicidé. Sa dernière lettre faisait mention de Fauve à chaque ligne, combien il l'avait aimée, combien elle l'avait détruit. S'en remettre, elle essaie encore. Lancée dans la voie de la médecine, son but est de sauver les gens, ceux qu'elle peut encore éloigner de la mort. Elle se sent coupable, pour feu son petit copain. Elle se sent coupable et ça lui pèse, elle n'arrive pas à s'en défaire. Hansel essaie de lui en donner les moyens, pourtant, il la câline et l'aime comme pas possible. Ils se sont fiancés, il lui a même avoué s'être coupé les ailes pour elle. Parce que oui, il l'aime et oui, c'est un ange déchu. Ça, Fauve ne s'y attendait pas - cette révélation remet en cause tout ce qu'elle a pu croire un jour. Son suicidé est peut-être au ciel, lui aussi, quelque part ? Le meilleur moyen de se déculpabiliser est d'y croire. Pour autant, est-ce qu'elle a envie de passer le restant de ses jours avec un ange tombé de son nuage ? Ça, c'est la question à cent mille dollars.

Sweeney, si il y a quelque chose que tu as retenu de ton enfance, c'est l'ombre. Tu étais toujours dans l'ombre de ton grand frère, destiné à devenir grand avocat ; dans l'ombre de ta propre mère, magnat des affaires, pluri-millionnaire de son grade. A deux, ils diffusaient tellement d'ombre que toi et ton père n'existiez pas, tout simplement. Le divorce a sonné haut et fort et très vite, et tu devais vivre deux semaines chez l'un et deux semaines chez l'autre ne t'a pas convenu : tu as choisi de rester avec ton paternel. Celui-ci était un peu un homme fou. Il faisait partie de cette classe très fermée des scientifiques très catholiques, ceux qui croient à l'Evolution et aussi à l'Opération du Saint-Esprit. Il t'a tout expliqué des cellulesdans ton corps et il t'a tout expliqué sur les anges et sur le Ciel et les ordres, tout, tout jusqu'à tout avouer : il croyait à leurs existences sur Terre. La parole de ton père était parole d'or : tu buvais ses paroles et elles germaient dans ton esprit comme autant de magnifiques arbres aux branches longues. Sorti de l'université, après ton doctorat en théologie catholique, tu as écrit un livre, puis un autre, puis un autre. Ils étaient tous ramenés plus bas que terre par des critiques, la presse se déchaînait, tout le monde te moquait. Quelques uns te croyaient, cependant, et tu avais de ces relations épistolaires rares avec eux, sérieuses et dévouées. Mais Sweeney, tu n'as jamais vu ce surnaturel dont tu parles tant. Déménagé à Dublin pour signer les papiers de ton divorce, te voilà invité sur un plateau télévision, te voilà reconnu dans la rue. Dans l'un des plus gros centres politiques et surnaturels du monde - ce dont tu ignores tout - tu vas peut-être trouver ce que tu cherches depuis si longtemps : une preuve, rien qu'une.

Ton père était flic, ta mère était flic. Tu es devenu flic. Ta vie a toujours été comme tracée, James. Tu étais un bon élève, mais pas excellent ; tu étais gentil, mais pas bienveillant. Tu étais amusant, mais pas hilarant. Tu étais toujours dans la moyenne, tes parents te disaient quoi faire et tu le faisais. Peut-être même que tu n'as jamais voulu être flic... mais tu l'es quand même devenu, avec les félicitations du jury. Tu t'accroches à ton quotidien qui s'effiloche comme tu peux, entre ta femme qui te trompe tous les jours (ceci dit, tu le lui rends bien pas vrai ?) mais qui ne veut pas signer le contrat de divorce, ton satané bandit surnommé Raccoon et ton premier-né, un gosse de huit ans, qui ne te lâche pas les basques. Tout est détruit autour de toi, progressivement, et, un jour, ça finira par t'atteindre, James. Mais, comme toujours, tu rajutes tes oeillères sur tes tempes, tu te pares d'un sourire quand tu es mortifié à l'intérieur et tu fais ce pour quoi tu es payé : tu tentes d'arrêter ton criminel, tu vas chercher ton môme à l'école et tu supportes à distance ta femme, restée à Edimburgh. Il va falloir songer à ouvrir les yeux, tout de même.

Summer, c'est un courant d'air, le genre de rafale brûlante, qui tient jamais en place dans une pièce, qui passe d'une fenêtre à l'autre sans prévenir et inonde de chaleur l'espace du sol au plafond. Un courant d'air qui vous prend au corps, qui fait monter en vous la température et vous consume, littéralement. Née dans les îles caribéennes, elle courait déjà dans des shorts trop petits, pieds nus, à travers les rues de terre sèche et de sable, attirant le regard des garçons de son âge. Elle avait toujours été belle, Summer, elle avait un prénom anglais qui faisait chic, elle le tenait d'un livre que sa mère aimait beaucoup. Des consonances estivales, un soleil et le clapotis des vagues qui s'écrasent contre les rochers, le bruit des coquillages quand on marche dessus, quand la coque se fissure, le goût salé de la mer quand on boit la tasse. Summer, c'était une île à elle toute seule, un bout de femme sûre d'elle, pleine de convictions et teintée de rébellion. Elle refusait d'assister à la messe, elle disait que c'était rien que des bêtises, à son propre père, un pasteur ! Bien sûr, il levait les yeux au ciel, mettait ça sur le compte du jeune âge de sa fille. Au fond, elle s'en fichait de tout ça. Elle voulait juste vivre jusqu'à se sentir complète, jusqu'à avoir le sentiment qu'enfin, elle pouvait mourir sans regret. La religion ne comblerait pas ce vide, elle en était certaine ; peut-être se substituerait-elle à la pièce manquante, la vraie ? Summer n'attendrait pas pour le savoir. Elle rencontra August alors qu'il était en mission à Bridgetown. Militaire, il paraissait plus fort, plus mur. Il avait le pouvoir de l'emmener partout, de lui faire vivre une passion dont elle n'osait rêver. Leur amour les conduisit au mariage, très vite. Elle avait envie de ça, de cette expérience nouvelle dont elle n'entendait que du bien, malgré son jeune âge. Elle pensait être comblée. Elle quitta la Barbade et atterrit à Dublin, auprès d'August, lorsqu'il rejoignit un mouvement militaire - du moins le voyait-elle ainsi. Son physique avantageux, ses origines ethniques et son culot la conduisirent vers une carrière de mannequin, qu'elle débute tranquillement. Encore une expérience qu'elle ne soupçonnait pas, autant que la drogue et la kleptomanie sévère, deux fléaux dont elle se joue pour repousser ses limites. Elle aurait tout pour être heureuse, Summer, mais voilà : elle se sent vide, elle se sent toujours vide.