Milo, petit Milo. Tu ne faisais pas grand chose, jamais, était le prototype même du démon de la paresse moyen. Et pourtant. Et pourtant, ça cogitait là-dedans. Si ton corps était amorphe, si ton aspect physique, malgré tes cornes et ailes et yeux rougeoyants, n'était que celui d'une larve, ton esprit fonctionnait à toute allure. C'est pour ça que tu ne te levais pas : réfléchir était déjà trop dur et long et te dévorait petit à petit ton énergie. C'était suffisant. Puis, un jour, tu as voulu monter. Enfin, ça t'a bien pris dix décennies pour te décider mais tu l'as fait. Lentement, tu t'es levé. Ton esprit dépassait les Enfers, la croûte terrestre, ton esprit allait jusqu'aux étoiles. Alors il te fallait t'en approcher ; alors tu as gratté la Terre, tu as gratté, gratté, des années durant, en t'arrêtant toutes les heures pour trente bonnes minutes. Deux pas en avant, un en arrière ; mais, étonnamment, la motivation restait, quelque part, cachée. Tu voulais être avec tes égaux, avec des gens intelligents, des autres personnes plutôt que ces flammes, ces lamentations et toutes cette violence. Tu étais en train d'abandonner quand, enfin, tu as remarqué la disparition de tes attributs maléfiques et quand, enfin, l'air s'est infiltré dans tes poumons. Tu n'as pas perdu une seconde, pas cette fois. Tu t'es implanté dans ce Milo Latimer, sans famille, sans ami, celui que t'aimais bien, qui te servait d'enveloppe lors de tes escapades démoniaques. Tu as joui de son diplôme en mutation à Oxford, qu'il avait obtenu à à peine dix-sept ans... et maintenant ? Heureusement que ce Ephraïm Newton t'es tombé dessus sinon tu serais encore retourné dans ton amorphie. Il t'a embarqué pour le projet de ta vie, l'Institut Newton, auquel tu as immédiatement adhéré. Et maintenant ? Quand tu te lèves, le matin, tu as envie de t'enfouir sous ta couette ou d'aller enseigner leurs origines aux mutants qui t'attendent ? Quand tu vois un canapé tu préfères t'y allonger ou continuer à poursuivre ta misérable utopie ? Milo, petit Milo. T'as les genoux qui flanchent, fais attention à toi.

Tes parents t'ont aimé, ça, c'est sûr. Ils aimaient bien le petit garçon poupon que tu étais, avec un grand sourire, des cheveux couleur soleil et des yeux comme la mer bleue, pas la grise galloise à côté de laquelle vous habitiez, non la bleue méditérannéenne. Tu étais heureux, gosse. Enfin ça, c'était jusqu'à ce que tes parents comprennent la raison pour laquelle tu n'avais pas besoin de veilleuse. Tu brillais dans le noir, comme une petite étoile. Si tu étais leur étoile, ils s'étaient toujours contentés du sens littéral : et te voir ainsi si différent, si inhumain, les a effrayés. Tu es ensuite passé de pension en pension, d'internat en internat et tu as été livré à toi-même pendant toutes ces années. Dès que l'on découvrait ton don, on te détestait, on te craignait ; toi qui étais un garçon et un adolescent si gentil et si généreux. Finalement, le jour de ta majorité, tu as enfin eu vent de cet institut, l'Institut Newton ; et ce jour-même, c'est Drop Out qui est venu à toi, alors que tu faisais tes affaires pour voler jusqu'en Irlande. Les terroristes t'ont convaincu, ont parlé à ton âme : tu es à eux, tu es fait du même bois. Ils savent, comme toi, ce que c'est l'injustice, le manque de reconnaissance et d'amour du monde, de manière injustifiée. Ils savent et toi, tu travailles pour eux, tu vis à l'Institut Newton, apprend des trucs que tu sais par coeur, arrivent avec peine à maîtriser ton pouvoir et, à côté, tu rends des comptes aux pires ennemis de l'Institut. Tu restes dans l'ombre du conflit qui divise le monde ; mais on ne te surnomme pas Light Boy pour rien, Erwan et le jour viendra où tu brilleras, tes erreurs et ton passé et surtout ton présent.

Tu étais d'une beauté pâle, Gwenaëlle. Tu étais pâle. Tu souriais constamment, discrète, secrète, telle une Mona Lisa angélique, et ne disait mot, non, jamais. Tu insufflais dans le coeur d'autrui un apaisement certain, une assurance qu'on n'aurait pu atteindre autrement. Tu étais ce petit ange discret et naïf, restant constamment dans l'ombre de grands, toujours à sourire délicatement en répandant bien et joie autour de toi. Puis un jour, tu as vu les Hommes. Tu as vu leur soif des projecteurs, leur envie de briller aux yeux de leurs proches, leurs défauts ; mais tu as aussi vu leurs qualités, nombreuses quoique cachées. Tu te rappelles d'un, dont tu ne te souviens plus le nom. Tu lui as insufflé courage et détermination et assurance comme tu le faisais si bien, modelant chirurgicalement son âme jusqu'à le faire devenir un homme important, un président qu'ils disaient. Puis tu braillais. Au lieu de bayer aux corneilles, de sourire et de passer à autre chose, tu te tournais vers ton voisin et disais tu vois celui-là ? Il est là grâce à moi. Gwen, tu t'es perdue et ça, Adam et Eve l'ont vue. Avant même d'avoir pu te vanter une autre fois, te voilà précipitée sur Terre, en compagnie de ces hommes que tu te plaisais tant à influencer. Tu souriais toujours pâlement et, au fond, tu aimais bien cela, ces hommes, leurs défauts, leurs qualités, leurs désirs, leurs buts. Tu sens le pardon si proche, maintenant que tu es à l'Institut, te donnant corps et âme dans ton travail en esquivant tout compliment et toute reconnaissance. Tu es redevenue la petite Gwenaëlle, innocente et discrète et pâle et souriante. Et alors que tu voyais déjà l'Ascension se profiler devant toi, tu as croisé le regard d'un homme, Gwen, ma petite Gwen, et tu as voulu y voir briller toute la reconnaissance et toute l'admiration et tout l'amour du monde. T'es tombée encore plus bas que de ton En-Haut, Gwen, t'es tombée amoureuse - et tu t'en dépaîtras certainement jamais. Mais le pire ? Tu aimes ça.

La pomme n'est pas tombée loin de l'arbre, pas vrai ? Ta mère avait beaucoup de soucis. C'était dur pour elle, tu le sais, tu ne t'en ai jamais plaint volontairement. Elle avait ses études qui lui bouffaient la vie et puis ses convictions à la con... toi tu voulais juste un peu d'attention. Un tout petit peu d'attention. Depuis que tu es tout jeune, Aspling, tu vis tout trop vite. Les émotions défilent sous ton front à une vitesse suprenante, tu es l'homme le plus paradoxal et bipolaire qu'on puisse trouver. Ton don l'explique, évidemment : tu es rempli des émotions qui t'entourent. Tu es stressé quand ta mère s'approche, tu es détendu quand Gabrielle te prend la main, ça a toujours été comme ça. Du coup, tu te fais rapidement influencer, mon petit Aspling. Tu ne peux pas t'empêcher de faire des conneries. Quand tu as déménagé de Lisburn vers Dublin, tu pensais y trouver une ville conforme, rigide, austère. Tu n'y as trouvé que la violen et la misère que tu avais quitté : ces mecs t'ont entraîné dans des affaires pas possibles, t'ont proposé des choses horribles. Et toi, trop bon trop con, tu acceptais. Mais un jour ta mère t'as fait rencontrer un homme, Ephraïm Newton, et ta vie a basculé : tu t'es laissé faire, tu t'es laissé conduire à l'Institut Newton. Tu ne voulais pas embêter ta mère, ça, c'est juste pour ça. Très vite, l'ambiance a déteint sur toi, tu t'es senti motivé, joyeux. Au fond, tu penses encore à ces émotions de violence, de destruction que tu ressentais avec ces hooligans de Dublin. Tu penses encore à Gabrielle, infiniment trop loin, qui te manque. Tu penses trop.

Elia était le vilain petit canard. Depuis toute petite, elle était mise à la marge, parce qu'elle n'était pas la plus intelligente de la famille, ni la plus belle, et encore moins la plus talentueuse. Pourtant, elle avait des qualités, beaucoup de capacités, mais son père faisait porter sur les épaules de son fils plus de responsabilités que sur celles de sa fille, alors que sa mère semblait n'avoir jamais réellement désiré une fille parmi ses enfants. Elia n'était pas maltraitée, elle était juste laissée de côté. Elle était seule. Alors elle a décidé de se construire ainsi, et a montré des signes de rébellion dès le plus jeune âge, décidée à ne jamais respecter les règles, à ne jamais entrer dans le moule, quitte à attiser la colère de ses parents qui, déjà, ne l'estimaient pas énormément. Elle prenait une pente glissante, en avait conscience, et trouvait ça grisant - c'étaient les bons côtés de la marginalité, que ceux de pouvoir agir comme bon vous semblait sans s'inquiéter de représailles. Seulement, Elia avait un don : il lui suffisait de dire quelque chose à un tiers, avec assez de volonté et de concentration, pour ce que dernier exécute n'importe lequel de ses ordres. Cela s'ajoutait à l'excitation de la liberté, et aux mauvaises actions de la jeune fille succédèrent de bien pires, qui la firent définitivement passée du côté criminel de la force. Son père la récupéra plusieurs fois au poste de police, ignorant tout des pouvoirs de sa fille, agacé par son immaturité, déçu que les jumeaux qu'ils avaient pour enfants ne soient pas plus identiques - et par cela, il entendait, qu'Elia ne ressemble pas plus à Cassidy. Tout dérapa, le jour où sous le coup de la colère, Elia inspira à son professeur de mathématiques de mettre fin à ses jours. Oh, elle ne l'avait pas voulu, elle ne s'était même pas vraiment concentrée. Elle avait juste affirmé qu'il ferait mieux d'aller se pendre, et il quitta le cours. Il trouva une corde dans le gymnase, fit un nœud serré, et se pendit. C'était la première fois qu'Elia se rendait compte, des dangers que son don pouvait amener. Elle quitta le lycée ce jour-là, quitta sa famille qui, de toute façon, ne voulait pas d'elle, et partit à la recherche d'une solution, un Institut à Dublin, pour les gens comme elle. Malgré les difficultés, l'Institut la trouva - parce que, de son côté, elle ne voyait vraiment pas où il était - et elle y entra aussi simplement que cela. Son nom de famille la met souvent sous les feux des projecteurs, puisque certains la suspectent espionne au service de son père, mais si elle pouvait choisir, elle ne rejoindrait pas le camp de sa famille. Non, ce serait plutôt Drop Out, un extrême qui lui plaît, qui lui ressemble.

Paris, ville des lumières. Jane y a surtout vu celle des néons de l'hôpital, alors que, le regard rivé au plafond, elle poussait sans relâche pour laisser sortir sa fille. Les cris du bébé lui ont foutu les larmes aux yeux, ou bien était-ce la douleur de l'effort qu'elle venait d'accomplir ? À moins que voir Timothy essuyer quelques larmes, son époux qui pourtant était d'habitude si stoïque, l'ait remuée au fond d'elle-même. Scarlett dans ses bras, son mari à ses côtés, il semblait que rien ne puisse jamais gâcher ce moment. Puis un jour, elle est morte. Scar n'avait pas à s'en plaindre, elle avait déjà eu une enfance bercée par l'amour - bien qu'elle ait souvent voyagé, n'ayant que peu d'amis fixes. Les États-Unis, l'Angleterre, la France, sa famille ne restait jamais au même endroit. Pour autant, elle n'était pas malheureuse. Au contraire. Jusqu'au jour où Jane Lightenfell, sa mère, est décédée d'un cancer. Ce n'était plus que Scar et son père, et le tournant qu'a pris leur famille à ce moment-là, les sépara petit à petit. Il s'orientait vers un extrême mutant terrifiant, tandis qu'elle ne rêvait que des passions adolescentes, des histoires de son âge. Politisée par son père, élevée dans des idéaux racistes envers les humains, un jour vînt où la coupe fut pleine. Elle quitta le foyer, rejoignit l'Institut Newton dont elle avait entendu parler si souvent, et coupa les ponts avec Timothy. Ils avaient clairement des divergences d'opinion. Coupable de le laisser seul, les deux communiquent toujours, via de longs courriers, sans jamais aborder les instances politiques que chacun a rejoint. Drop Out pour le père, l'Institut pour la jeune fille, elle espère y contrôler son don, et défendre pacifiquement les droits des mutants et des surnaturels, sans avoir à se battre trop fort, sans avoir à tuer. Elle ne veut plus rien avoir à faire avec la mort.