Over and over and over again

Se rejetant en arrière dans son fauteuil, Orphée ferme les yeux et poussa un long soupir empreint de lassitude.
En dehors de l’immeuble, le soleil était couché depuis longtemps maintenant, et les lumières de la ville filtraient à travers les stores partiellement tirés, dansant sur les murs de la pièce plongée dans la pénombre. Seule une petite lampe de bureau posée près de lui éclairait le jeune homme et son plan de travail. Des piles de feuilles et des dossiers bien rangés dans leurs pochettes cartonnées s’égrenaient avec une régularité presque mécanique, témoins d’un travail harassant mais exécuté avec le plus grand sérieux. L’ange déchu mettait un point d’honneur à ce que ses affaires, personnelles ou concernant Infinitas, soient aussi ordonnées que possible, et il calquait son mode de pensée sur son mode de rangement. Toutes les informations qu’il collectait étaient soigneusement étiquetées, glissées dans des tiroirs très spécifiques et reléguées dans un coin de son esprit où il pourrait aisément les retrouver le jour où il en aurait besoin.
Et ce soir, il avait fouillé dans ses archives mémorielles pendant de longues, longues heures.
Se frottant les yeux, le jeune homme rouvrit les paupières et coula un regard en coin au réveil digital à l’extrémité du meuble.

« 00 : 37 » s’affichait en gros chiffres verts et lumineux.

Orphée soupira à nouveau, puis se pencha en avant et relu rapidement les notes prises depuis le début d’après-midi.
La vice-présidente dont il était le secrétaire lui avait confié la tâche de lui préparer un discours important qu’elle réciterait le lendemain. Autant dire qu’ils ne dormiraient pas beaucoup ni l’un ni l’autre s’ils devaient travailler le texte jusqu’à ce qu’il soit parfaitement rédigé et qu’il sonne bien à l’oral.
Ils en étaient pour le moment à la cinquième réécriture, et l’ange osait espérer qu’il n’y en aurait pas de sixième.
Se levant de son siège, il attrapa ses papiers, les remis en ordre en en frappant la tranche sur la table, puis sortit de son bureau et alla rejoindre celui de sa supérieur. Traversant des couloirs déserts et passant devant des pièces noires et vides de toute présence, il se surprit à penser que le complexe avait une allure bien singulière une fois la nuit tombée. N’eut été le président Jefferson terré tout là-bas au dernier étage et les scientifiques qui ne cessaient jamais vraiment de travailler, le quartier général d’Infinitas avait des allures de bâtiment fantôme. Pas un bruit ne venait troubler la quiétude des corridors pourtant si remplis en journée, pas une âme ne circulait dans l’édifice à l’exception des couches-tard, de ceux qui sacrifiaient leur vie privée et leur santé au profit de leur travail et ceux qui avaient le « plaisir » de loger dans les casernes de l’organisation. Inutile de préciser, bien sûr, à quelle catégorie appartenait Orphée. Il espérait juste que Pola avait encore des graines dans sa mangeoire et de l’eau à disposition. Il s’occuperait de son oiseau dès qu’il rentrerait chez lui.
Arrivant finalement devant la porte qui l’intéressait, il frappa trois coups secs puis entra.

« Miss Ó Dálaigh ? Voici la nouvelle version de votre discours pour demain. »

S’approchant de la jeune femme, il déposa ledit discours sur le coin de la table au centre de la pièce.

« J’espère, pour vous et moi, que celle-ci vous conviendra. »

S’écartant tranquillement, il alla se poster non loin de la vice-présidente, mains croisées devant lui, attendant le verdict.